Le Nom de la rose

(Umberto Eco)

  Ma note : 17/20

  • Policier / Thriller, Roman Historique
  • Papier, Ebook

    6 citations dans ma p'tite bibli


    Ma première rencontre avec Umberto Eco ne fut pas une réussite. Un bac blanc de français, un horrible voyage avec un saumon (1) et une très mauvaise note plus tard, j'éprouvai pour lui une forte aversion qui me tint éloignée de ses écrits pendant plus de 20 ans ! Et puis, comme on dit, il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis ; alors contrairement à mes habitudes, j'ai cédé aux sirènes de la médiatisation qui,  depuis qu'il a eu le culot de disparaître ne tarissent plus d'éloges sur cet immense génie – mais combien de ces journalistes éplorés avaient déjà posé les yeux sur un de ses textes auparavant ?! – et j'ai donc ouvert avec une appréhension non dissimulée « Le nom de la rose ». Et je l'ai lu. Et j'ai aimé !

    Dire qu'on est en présence d'un roman facile à lire serait un mensonge plus qu'éhonté. Umberto Eco est un linguiste de génie qui n'hésite pas à faire dans l'obscurantisme. Entre les passages en latin non traduits, l'étalage parfois indigeste de savoir ou encore une concentration de mots oubliés à faire pâlir Bernard Pivot, cette lecture fut tout sauf reposante. Mais je me suis accrochée et j'ai fini par vraiment accrocher ! Au final j'ai appris plein de choses, et j'ai également dévoré bon nombre de pages Wikipedia, de St François d'Assises à Aristote en passant par le ténébreux pape Jean XXII !

    Certains ont réduit ce livre à un roman policier. D'autres se concentrent plutôt sur le côté théologique voire philosophique du récit, et d'autres encore y voient une leçon d'histoire ou un traité d'art médiéval. Pour moi, il est tout à la fois ! Et c'est justement cette pluralité qui lui confère sa singularité.

    Sagesse et connaissance – qu'on réunissait alors sous le terme de sapience – sont le c½ur et l'âme du texte ; et la bibliothèque, écrasant personnage principal en est le symbole. Entre les références aux manuscrits célèbres qu'elle cache en son sein et la présence dans le n½ud de l'intrigue de grandes figures historiques telles que Michel de Césène, Ubertin de Casale ou encore l'impitoyable Bernard Gui, la réalité se fond dans la fiction à tel point qu'on en perd parfois la notion. Les débats politiques semblent incroyablement actuels : remplacez la pauvreté du Christ par le code du travail,  la légitimité du pape par celle de notre président et vous vous croirez à l'Assemblée Nationale un mercredi après-midi (ou au bar PMU du coin de la rue, c'est selon).

    L'aspect thriller quant à lui est parfaitement maîtrisé. Des secrets, des morts, des complots... Le tout impeccablement mis en valeur par la sagacité de Guillaume, véritable Sherlock Holmes des temps anciens (et on ne me fera pas croire que le choix du patronyme Baskerville fut fortuit) et de son ingénu Adso-Watson. J'avais de vagues souvenirs du film qui m'ont permis d'assembler les pièces du puzzle assez facilement, mais je pense que sans cela j'aurais été soufflée par le dénouement.

    Je viens tout simplement, alors que je ne m'y attendais pas, de lire un véritable chef-d’½uvre ! J'en arrive même à penser que, peut-être, un jour, j'oserai affronter « Le pendule de Foucault ». A présent, tout est possible !



    (1) Voici le fameux objet du délit texte, extrait du recueil de chroniques « Comment voyager avec un saumon - Nouveaux pastiches et postiches » d'Umberto Eco. Avec 20 ans de plus, je le trouve aujourd'hui très drôle, mais du haut de mes 16 ans, en tirer un commentaire composé fut une véritable torture !

    Comment voyager avec un saumon

    A en croire les journaux, notre époque est troublée par deux grands problèmes : l'invasion des ordinateurs et l'inquiétante expansion du Tiers-Monde. C'est vrai, et moi je le sais.

    Dernièrement, j'ai fait un voyage bref, un jour à Stockholm et trois à Londres. À Stockholm, j'ai eu le temps d'acheter un saumon fumé énorme, à un prix dérisoire. Il était soigneusement emballé dans du plastique, mais on m'a conseillé, puisque j'étais en voyage, de le garder au frais. Facile à dire.

    Heureusement, à Londres mon éditeur m'avait réservé une chambre de luxe, équipée d'un frigo-bar. Arrivé à l'hôtel, j'ai eu l'impression d'être dans une légation de Pékin pendant la révolte des Boxers.

    Des familles campant dans le hall, des voyageurs enfouis sous des couvertures dormant sur leurs bagages... Je m'informe auprès des employés, tous Indiens, plus quelques Malais. Ils me répondent que laveille, le grand hôtel s'était doté d'un système informatique qui, par manque de rodage, venait de tomber en panne deux heures auparavant. Impossible désormais de savoir si les chambres étaient libres ou occupées. Il fallait attendre.

    En fin d'après-midi, l'ordinateur était réparé et j'ai pu prendre possession de ma chambre. Préoccupé par mon saumon, je le sors de ma valise et me mets en quête du frigo-bar.

    D'habitude, les frigo-bars des hôtels normaux contiennent deux bières, deux eaux minérales, quelques mignonnettes, un petit assortiment de jus de fruits et deux sachets de cacahuètes. Celui de mon hôtel, gigantesque, contenait cinquante mignonnettes de whisky, gin, Drambuie, Courvoisier, Grand Marnier et autres calvados, huit quarts Perrier, deux de Badoit, deux d'Évian, trois bouteilles de Champagne, plusieurs canettes de stout, de pale-ale, de bières hollandaises et allemandes, du vin blanc italien et français, des cacahuètes, des biscuits salés, des amandes, des chocolats et de l'Alka-Seltzer. Aucune place pour mon saumon. Deux grands tiroirs s'offraient à moi : j 'y ai déversé tout le contenu du frigo-bar, j'ai installé mon saumon au frais, et je ne m'en suis plus occupé. Le lendemain à quatre heures, mon bestiau trônait sur la table et le frigo-bar était de nouveau rempli jusqu'à la gueule de produits de qualité. J'ouvre les tiroirs et constate que tout ce que j'y ai déposé la veille est encore là. Je téléphone à la réception et demande d'avertir le personnel d'étage que s'ils trouvent le frigo vide ce n'est pas que je consomme tout mais c'est à cause d'un saumon. On me répond que cette information doit être donnée à l'ordinateur central, car le personnel n'étant pas anglophone, il ne peut recevoir des ordres parlés, mais seulement des instructions en Basic.

    J'ai ouvert deux autres tiroirs pour y transférer le nouveau contenu du frigo-bar, dans lequel j'ai ensuite logé mon saumon. Le lendemain à quatre heures l'animal gisait sur la table et commençait à dégager une odeur suspecte.

    Le frigo regorgeait de bouteilles et mignonnettes, quant aux quatre tiroirs, ils rappelaient le coffre-fort d'un speak-easy au temps de la prohibition. Je téléphone à la réception et apprends qu'ils ont eu une nouvelle panne d'ordinateur. Je sonne et tente d'expliquer mon cas à un type portant les cheveux attachés en catogan : hélas, il parlait un dialecte qui, d'après ce que m'a expliqué par la suite un collègue anthropologue, n'était pratiqué qu'au Khéfiristan à l'époque où Alexandre le Grand fêtait ses épousailles avec Roxane.

    Le matin suivant, je suis allé régler ma note. Elle était astronomique. Il apparaissait qu'en deux jours et demi, j'avais consommé plusieurs hectolitres de Veuve Clicquot, dix litres de whiskys divers et variés, y compris quelques malts très rares, huit litres de gin, vingt-cinq litres de Perrier et d'Évian, plus quelques bouteilles de San Pellegrino, davantage de jus de fruits qu'il n'en faudrait pour maintenir en vie tous les enfants de l'UNICEF, une quantité d'amandes, de noix et de cacahuètes à faire vomir le légiste chargé de l'autopsie des personnages de La Grande Bouffe. J'ai essayé de m'expliquer, mais l'employé, en souriant de toutes ses dents noircies par le bétel, m'a certifié que l'ordinateur avait enregistré tout ça. J'ai demandé un avocat, on m'a apporté une mangue.

    Mon éditeur est furieux et me prend pour un parasite. Le saumon est immangeable. Mes enfants m'ont dit que je devrais boire un peu moins.
    (1986)


    Laisser un Commentaire

    Pour éviter les abus, les commentaires ne sont visibles qu'après modération. Promis, je fais au plus vite ;)